Unité de recherche « penser la rationalité aujourd’hui »
Dr.Samir Zoghbi
Agrégé de Philosophie
Dr.Samir Zoghbi
Agrégé de Philosophie
Le statut de la création dans le cinéma surréaliste
Le cinéma est-il par essence surréaliste ?
"Le cinéma est
d'essence surréaliste", C’est une déclaration ou plutôt une thèse d’Ado
Kyro un penseur qui s’est intéressé au cinéma surréaliste dans son
ouvrage « Le Surréalisme au cinéma, publié en 1953.
Notre propos dans cet exposé c’est de penser cette déclaration.en posant La problématique suivante: à quel niveau de pensée peut-on prouver esthétiquement cette thèse qui considère que le cinéma est par essence surréaliste. Pourquoi Ado Kyro (1) affirme que le cinéma est par essence surréaliste ? Pourquoi le cinéma est exclusivement surréaliste? Et quelles sont les caractéristiques communes ( entre le cinéma et le surréalisme) qui permettent de confirmer cette thèse ?
Toutes ces questions seront analysées en trois moments successifs.-
- Dans le premier nous rappelons la définition de l’évènement surréaliste comme une révolution contre les formes classiques dans l’art,
-Dans le second moment, nous entamerons l’examen esthétique et poétique de la conduite créatrice du cinéma surréaliste, cela va nous permettre de dégager les caractéristiques d’un cinéma surréaliste.
Et dans le dernier de ces moments, nous dégagerons la démarcation du cinéma surréaliste, et en quoi il se spécifie par rapport aux autres orientations cinématographiques tel que l’école réaliste ou l’école expressionniste par exemple.
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1 Ado Kyrou (18 Octobre 1923 à Athènes - 4 Novembre 1985 à Paris) était un critique de cinéma et réalisateur français.
Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Le Surréalisme au cinéma, publié par Arcanes en 1953, réédité par Le Terrain Vague, en 1963 .
1- La signification du surréalisme
L’art surréaliste est connu populairement et surtout par l’oeuvre picturale de Salvador Dali et
les tendances littéraires d’André breton. En fait, le surréalisme est toute une philosophie qui
s’inspire de la pensée irrationnelle fondée par la philosophie contemporaine telle que la
philosophie de Nietzsche et de Freud.
1 Ado Kyrou (18 Octobre 1923 à Athènes - 4 Novembre 1985 à Paris) était un critique de cinéma et réalisateur français.
Il est notamment l'auteur de l'ouvrage Le Surréalisme au cinéma, publié par Arcanes en 1953, réédité par Le Terrain Vague, en 1963 .
1- La signification du surréalisme
L’art surréaliste est connu populairement et surtout par l’oeuvre picturale de Salvador Dali et
les tendances littéraires d’André breton. En fait, le surréalisme est toute une philosophie qui
s’inspire de la pensée irrationnelle fondée par la philosophie contemporaine telle que la
philosophie de Nietzsche et de Freud.
Le surréalisme signifie une activité créatrice qui prend son départ dans l’imagination. André
Breton décrit le surréalisme comme "le point de l'esprit", "d'où la vie et la mort, le réel et
l'imaginaire, le passé et le futur, le communicable et l'incommunicable, le haut et le bas
cessent d'être perçus contradictoirement."
Le surréalisme est une reconsidération de l’art qui n’est en effet qu’une reconsidération de la
société qui s’y rattache, Détruire les formes classiques, conventionnelles de l’art, c’est poser
la question non seulement d’autres arts possibles, mais aussi d’autres modes de vies, d’autres
philosophies, d’autres organisations sociales.
Le surréalisme détruit l’art « académique » comme l’anarchisme tend à détruire la société en
place pour y construire ici des formes esthétiques inédites.
2- Que signifie l’art surréaliste et précisément le cinéma surréaliste ?
Le cinéma semble être le meilleur espace pour plonger dans le rêve, le fantastique, la poésie,
et la création cinématographique ne doit servir qu'à ouvrir le monde de l’imaginaire.
Seuls les films qui participent à un élargissement de la vie et à une libération des forces
majeures de l'homme intéressent le surréaliste. Les surréalistes, sont les premiers à jeter bas
l’idéal du libéralisme et de l’humanisme moralisant.
Pour Kyrou, le surréalisme au cinéma ne désigne pas un genre comme le western ou la
comédie musicale, «surréalisme» ne s’ajoute pas à «cinéma» pour le spécifier, mais définit
pleinement la nature du septième art, parce que «le cinéma est d’essence surréaliste» (p.13).
L’auteur entend par surréalisme la «libération de l’homme par la recherche et la découverte
du “fonctionnement réel de la pensée”» (p.13),. Le surréaliste croit à la toute-puissance de la
poésie et du rêve pour faire émerger le contenu latent de la réalité, laquelle, ainsi «enrichie»,
«devient absolue, surréelle» (p.13). Or, pour Kyrou, le cinéma, en tant qu’il offre un univers
qui ne différencie pas le rêve et la veille, est le «moyen d’expression rêvé du contenu latent de
la vie» (p.15) qui ouvre sur la vertigineuse infinité des possibles. Ainsi, la spécificité de l’art
des images en mouvement réside dans sa capacité à s’affranchir du temps et de l’espace afin
de convertir notre regard à la surréalité. Mais si l’essence du cinéma est de rendre
esthétiquement possible l’impossible. L’auteur est convaincu que le cinéma, dans sa
plénitude surréaliste, «peut nous restituer des visions chaque fois différentes de la vie». A
cette occasion, Kyrou, tout en reconnaissant les possibilités techniques de création du
cinématographe, insiste sur la nécessaire subordination de la forme à la vision surréaliste de
l’artiste. la pensée d’Ado Kyrou au niveau de La section du Surréalisme au Cinéma est
entièrement consacrée au génie du cinéma surréaliste : Luis Buňuel. Kyrou propose une
analyse précise, film après film, du surréalisme buňuelien qui vise à mettre en évidence sa
puissance poétique riche de toutes les révoltes. Le Surréalisme au Cinéma est avant tout une
invitation à (re)découvrir ce cinéma qui, comme le définissait André Bazin, «coupe l’oeil
comme le rasoir du Chien andalou pour atteindre, ce qui, dans l’homme, cherche
perpétuellement sa liberté».
La conduite créatrice et les techniques des films surréalistes
Les films surréalistes bien que peu nombreux. Ils visent à affirmer que la satisfaction des
besoins intérieurs de l’homme fait l’objet d’une lutte aussi impérative que la transformation
des structures sociales.
Seul Buñuel a su penser le surréalisme en termes de cinéma, et le cinéma selon les procédés et les buts surréalistes. Sa puissance créatrice lui a permis de donner des images dont la force atteint celles des poètes et des peintres. Il a su par le cinéma accéder aux profondeurs de l’être et faire de ses deux films un « appel à l’irrationnel, à l’obscurité, à toutes les impulsions qui viennent de notre moi profond”.
Le film surréaliste n’apporte au spectateur aucune accroche narrative claire, il existe en
dehors du récit, et donc en dehors de la continuité et de la succession causale ou
chronologique, il n’est question que de succession d’images incohérentes qui dessinent une
pensée, un montage d’idées. C’est le travail pur de la pensée d’Artaud. Le cinéma surréaliste a su employer, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, cette anarchique liberté qui est
publiquement blâmée mais intimement recherchée.
Le surréalisme fait surgir, au-delà du mystère onirique des photogrammes, une lumière
« noire » dans l’espace cinématographique. En effet, le premier élément qui fascine les
surréalistes dans le cinéma est sans doute les conditions mêmes dans lesquelles se trouve le
spectateur : dans une salle obscure, soumis à un flot d’images, captivé par la lumière et le
mouvement, il est comme entre le rêve et le sommeil, le contrôle de la raison est aboli ou du
moins suspendu.
Avec les surréalistes, le fait même de visionner un film dans un cinéma s'apparente au rêve.
Le spectateur est enveloppé de noirceur et il doit s'abandonner aux images qui défilent devant lui, images sur lesquelles il ne peut exercer aucun contrôle. En 1928 Luis Buñuel en collaboration avec Salvador Dali, réalise le premier film surréaliste : Le Chien andalou².
Le spectateur est enveloppé de noirceur et il doit s'abandonner aux images qui défilent devant lui, images sur lesquelles il ne peut exercer aucun contrôle. En 1928 Luis Buñuel en collaboration avec Salvador Dali, réalise le premier film surréaliste : Le Chien andalou².
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2 Ariane Guieu le Surréalisme p 61
2 Ariane Guieu le Surréalisme p 61
3 Ce court-métrage au scénario difficilement racontable aurait été inspiré par un rêve de Salvador Dali et un rêve de Luis
Buñuel[réf. nécessaire], et est truffé d'éléments récurrents dans l'oeuvre du peintre : âne mort, piano, érotisme, fourmis, la
dentelière de Vermeer, etc.
Un chien andalou est Le film surréaliste par excellence. Son scénario est écrit en six jours par Buñuel et Dali qui travaillent
sur le mode du cadavre exquis, comme l'a raconté plus tard Luis Buñuel :
« Nous travaillions en accueillant les premières images qui nous venaient à l'esprit et nous rejetions
systématiquement tout ce qui pouvait venir de la culture ou l'éducation. Il fallait que ce soient des images qui nous
surprennent et qui soient acceptées par tous les deux sans discussion ».
- Réalisation, montage, production : Luis Buñuel
- Scénario : Luis Buñuel et Salvador Dalí
- Production : Luis Buñuel
- Musique : Richard Wagner, Tristan et Iseult
- Photographie : Albert Duverger
- Montage : Luis Buñuel
Suivi du film L'Age d'or (1930), Buñuel présente un univers qui ne différencie pas la folie et
le rêve de l'état normal. Ces deux films sont des manifestes cinématographiques qui
dénoncent à la fois le cinéma traditionnel et les valeurs de la société moderne. L'Age d'or fut
placé à l'index pendant plusieurs décennies pour ces images antireligieuses. Les films
considérés surréalistes présentent un univers de rêve et de fantaisie.
La création cinématographique surréaliste surpasse le réel par un geste révolutionnaire de
renversement des structures sociales réelles. Poussé par une liberté créatrice, le surréaliste
constitue ses films comme une intempestivité qui élève le spectateur par delà le réel.
D’ailleurs, l’attrait des surréalistes pour le cinéma commence de leur goût de la contradiction
pour les normes établies et les conventions sociales. L’univers surréaliste reprend les
principes de renversement du mouvement incohérent, en les mélangeant à des préoccupations
symbolistes et hermétiques.
L’idée de l’amour comme contraire à l’autorité, se retrouve dans les grands films surréalistes
comme l’âge d’or de Luis Buñuel (1930). Le cinéaste espagnol a fait bondir de nombreuses
fois les gardiens de l’ordre moral, ses attaques, quasi systématiques contre l’Église catholique
et les religieux en général, confirment sa position.
Le film surréaliste n’est pas anti-réaliste, mais prend son départ du réel pour exprimer par des
images irréelles des phantasmes réels. Le surréalisme n’est pas une description mécanique qui
reflète le réel tel qu’il est mais il est un travail artistique qui n’ignore pas le réel.
Les films des surréalistes se situent tous dans la rupture, rupture des formes, rupture
narrative, rupture avec la réalité... Lorsque le spectateur est face à la première séquence du
Chien andalou, il se retrouve face à un monde violent et onirique, qui casse l’axe classique de
vision. L’oeil tranché par la lame de rasoir, c’est aussi l’oeil du spectateur. Buñuel et Dali
annoncent un changement radical , une rupture avec non seulement le film traditionnel, mais
avec le public. Cette écriture automatique de mode visuel s’intéresse à l’homme dans son
imaginaire, dans son inconscient, c’est-à- dire dans son intimité, dans son individualité
propre. Le cinéma surréel passe de l’homme vu dans son extériorité, à l’homme vu dans son
intériorité. Apparaît alors un univers totalement inconnu, qui semble suivre une logique
propre à lui, et indépendante de tout ordre, de toute loi connus. ] Chaque film propose des
compositions d’objets insolites inclus dans des cadres mouvants, un piano supportant un âne,
le tout tiré par un homme dans le premier film de Bunuel, un rassemblement officiel se
recueillant devant trois cadavres d’évêques placés sur un rocher dans l’âge d’or, un curé
enfonçant sa tête dans un bocal dans la Coquille et le Clergyman, des faux cols suspendus et
dansant dans l’air dans l’Etoile de mer... Les exemples sont multiples.
Conclusion
Le cinéma surréaliste, utilisant la transformation et la mobilité des objets, des acteurs, est
entièrement ouvert, tout comme l’homme, l’individu. Il métamorphose les formes et les
- esprits. Cette rupture désapprend à l’individu à ne concevoir qu’une seule forme d’image, de Direction artistique : Pierre Schild
- Pays d'origine : Espagne
- Format : Noir et blanc - 1,33:1 - Muet - 35mm
- Durée : 17 minutes
réflexion sur le monde. Le film surréel ne révolutionne pas, il subvertit, c’est-à-dire qu’il
ne renverse pas les images classiques, il les brise pour en installer de nouvelles. C’est en cela
qu’il est créateur.
Dans la pratique, cela se voit au montage. L’âge d’or, par exemple, montre un plan d’une
cérémonie officielle sur l’île, qui est tout de suite interrompu par le plan suivant, celui des
amants allongés par terre. Il n’y a ni fondu enchaîné ni surimpression, pour amener la
séquence suivante. Buñuel préfère briser et éliminer la première image, liée à l’autorité, pour
en imposer une autre, celle de l’amour. Le cinéma apporte le mouvement, il bouge, il se
transforme sans cesse, il n’accepte aucune permanence. Pour avancer dans le déroulement de
la pellicule et la lecture de l’image, soit il fond les séquences les unes dans les autres
(technique de la surimpression), soit il les juxtapose (fondu au noir ou au blanc). Les
surréalistes ont choisi le plus souvent cette dernière structure du film, en montage alterné. Ce
choix accompagne avec précision les valeurs contestées et remises en question par eux.
L’inconscient, l’onirique, le magique de ce type de production, rejoint l’idée d’élie Faure, qui
voyait dans le cinéma, une architecture en mouvement pouvant transformer l’esprit profond
de l’homme. Le film surréaliste, inconscient d’un créateur ou de plusieurs, projeté sur un
écran, déconstruit ses propres images moralisatrices, et laisse surgir ses visions primordiales,
archétypiques. Transformer, développer l’individu, c’est le souci majeur des anarchistes, bien
avant le changement de société. Selon eux, « la culture de soi- même » reste la quête
primordiale, rappelant ainsi les préoccupations alchimiques des surréalistes. Le nihilisme
porté par l’esthétique dadaïste a été remplacé par l’anarchisme de l’esthétique surréelle qui,
au-delà de la cassure des formes et des conventions, installe une nouvelle conception de
l’image, et à travers elle, du monde.
Nous concluons que si Ado Kyrou affirme que le cinéma est par essence surréaliste cela veut
dire que le sens fort de la création artistique se trouve proprement dans le cinéma surréaliste.
Technique de regard, qui épanouit l’imaginaire et le symbolique et favorise la liberté créatrice
ce sont là les techniques qui distinguent le cinéma surréaliste
Ainsi le surréalisme peut sauver l’activité créatrice dans l’art et peut la réhabiliter dans notre
ère contemporaine saisie par la construction du virtuel de la technique qui est plutôt
fabrication et reproduction et non pas une création.