Le cinéma contemporain et la reproduction technique: Dr.Samir Zoghbi


Journées d’études de L’ATEP
Les paradoxes du contemporain dans l’art
29 et 30 janvier 2010


  Le cinéma contemporain et la reproduction technique

                                       Dr.Samir Zoghbi

  Mon propos dans cet exposé est de penser le statut de l’oeuvre d’art à l’époque de la modernité qui se caractérise par le développement de la technique, en se basant essentiellement sur un fameux texte de Walter Benjamin « l’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique ». Toutefois, il ne s’agit pas de penser l’oeuvre d’art en général, il est plutôt question du cinéma1 en tant qu’il est l’art où la machine a intervenu dans la reproduction de l’oeuvre.

La problématique que je pose est la suivante : à quel niveau peut-on déclarer que la reproduction technique de l’oeuvre d’art à conduit à la perte de son aura à savoir son unicité et son authenticité ? Pour être plus clair, je pourrais reformuler la problématique en ceci : si la reproductivité est à le principe-même2 de l’oeuvre artistique, pourquoi reprochons-nous à la technique son rôle dans la perte de l’originalité de l’oeuvre d’art au cinéma?
Cette problématique sera développée en trois moments successifs.-
Dans le premier moment, j’aborderai la question de la disparition de l’authenticité dans le cinéma, dans le second je montrerai la disparition de la singularité et de l’unicité et dans le troisième moment je traiterai la modification de la notion du temps.

1-la disparition de l’authenticité dans le cinéma, :
En introduisant la machine dans l’activité artistique, la reproduction de l’oeuvre a changé. Les procédés techniques simples utilisés jadis n’ont plus de présence et de rôle « créatif » et c’est à la machine que revient tout le travail de reproduction de l’origine. Alors que dans la gravure et dans la lithographie, la main jouait un rôle important pour reproduire l’origine, dans le tournage cinématographique, la reproduction des images dans le film est indépendante de l’histoire réelle et la machine photographique joue un rôle intermédiaire important.
Benjamin entreprend une comparaison entre les arts et affirme que dans les arts classiques le
    Je remarque que le cinéma est l’art le plus contemporain des arts et le premier qui a introduit la technique dans l’activité artistique
Walter benjamin, L’oeuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique Traduction revue par Rainer Rochlitz « Il est du principe de l’oeuvre d’art d’avoir toujours été reproductible . Ce que des hommes avaient fait, d'autres pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la réplique fut pratiquée par les élèves dans 1'apprentissage de l’art, par les maîtres pour la diffusion de leurs oeuvres, enfin par des tiers par amour du gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction technique de1'ceuvre d'art représente quelque chose de nouveau, un phénomène qui se développe de façon intermittente au cours de 1'histoire, par bonds successifs séparés par de longs intervalles, mais avec une intensité croissante»p.9
Ce texte de Walter Benjamin anticipe un thème central de l'esthétique contemporaine, chez Herbert Marcuse par exemple, l’oeuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique est un des textes majeur de l'histoire de l'art souvent utilisé comme référence.

rapport entre l’original et l’authentique ne pose pas problème puisqu’il y a une parenté très forte entre les deux notions, L’authentique est très proche du réel etant donné qu’on utilise la main et des matériaux naturels pour dessiner et reproduire l’objet réel par contre dans le cinéma cette relation entre les deux notions ( l’original et l’authentique) commence à disparaître puisque le tournage ne photographie pas l’image réelle, mais il monte des images qui ne réfèrent pas à une histoire réelle. Le film n’ a pas son origine, c’est une pure production technique.
Benjamin montre que dans les arts classiques telsque : la gravure sur bois, la gravure sur cuivre ajoutée par le moyen âge et la lithographie, dans tous ces arts , ils’agit de reproduire l’origine( l’exécution du dessein sur une pierre de son incision dans un bloc de bois ou sur une planche de cuivre p.11), mais si l’on compare tous ces arts avec le cinéma on remarque une autre chose, c’est la fixation artificielle de l’original dans un studio. Ceci dit que l’original commence à perdre son originalité, le cinéma commence à nous éloigner de l’authenticité parce que l’authenticité n’est rien d’autre que cette représentation originale ou quasi-réelle du réel. « Il est bien clair par conséquent, que la nature qui parle à la caméra n’est pas la même que celle qui parle aux yeux. Elle est autre… ».
La photographie qui a supplanté la lithographie dans le rôle de dessiner les objets réels a constitué un départ très important dans la reproduction des images. Elle a contribué à introduitre la machine dans la reproduction de l’origine.
« Vers 1900, la reproduction technique avait atteint un niveau où elle était en mesure désormais, non seulement de s’appliquer à toutes les oeuvres d’art du passé et d’en modifier, de façon très profonde, les modes d’action, mais de conquérir elle-même une place parmi les procédés artistiques » .
A cet égard, l’introduction de la technique dans la reproduction de l’oeuvre d’art a joué un grand rôle dans la modification des procédés artistiques et c’est l’art cinématographique, qui a été le premier a effectuer la reproduction des images à l’aide de la machine. (la caméra) est devenue le modèle de toute activité artistique. « Avec (la photographie) pour la première fois, dans le processus de la reproduction des images, la main se trouva déchargée des tâches artistiques les plus importantes, lesquels furent réservées à l’oeil rivé sur l’objectif.5 » . Dés lors, on ne reproduit plus, par des procédés naturels, ( la main) une seule « image » de l’origine, mais on peut reproduire plusieurs « images » .
Le second moment qui est la.

2-Disparition de la singularité et de l’unicité
De la même manière qu’on a commencé à s’éloigner de l’origine, on a aussi commencé à s’éloigner du singulier et de l’unique car la machine peut reproduire à la fois plusieurs images. « A la plus parfaite reproduction il manque toujours une chose : le hic et nunc de l’oeuvre d’art- l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve. »6 . Il est évident que la machine peut nous servir en économie, mais elle ne peut guère nous servir dans la conservation de l’essence même de l’activité artisique qui, elle, n’est pas pratiquée en vue de la consommation, mais pour le goût. En économie nous avons besoin d’augmenter la productuion mais dans l’art, nous voulons sentir le beau, mais une fois on reproduit la même image plusieurs fois ,le gout du singulier se perd.
Dès le début du XXe siècle, avec le dadaïsme notamment, des oeuvres éphémères et iconoclastes ont modifié la perception et le statut de l'oeuvre d'art, dépouillé des ornements
3 Ibid p.62
4 Ibid, p. 12
5 Ibid,p. 11 Benjamin parle de la reproductibilité et non de la reproductivité de l’oeuvre d’art, c’est –à- dire qu’il s’agit de la possibilité de repoduire le réel.
6 Ibid, p.13

classiques conférant aux oeuvres d'art un statut sacré à travers leur beauté platonicienne et leur immuabilité. Le Pop Art a consacré la sérialisation industrielle d'artefacts, sans intervention nécessaire de l'artiste ; cette désincarnation de l'oeuvre d'art a contribué par la suite à l'émergence de la performance, forme d'expression « authentique » douée d'une aura psychique quoique momentanée.

3-La modification de la notion du temps
Dans le cinéma, la reproductibilité technique, conduit à l’effacement du sens du temps car il s’agit de tout un travail de tournage et montage . L’image réelle se perd dans une succession intemporelle d’images montées selon la conception du monéteur et du metteur en scène. Plusieurs altérations atteignent l’image réelle. « La trace des altérations matérielles n’est déclable que grâce à des analyses physico-chimiques, impossibles sur une reproduction ; pour déterminer les mains successives entre lesquelles l’oeuvre d’art est passée, il faut suivre toute une tradition en partant du lieu où se trouve l’original. »7 . Dans un sens marxiste Benjamin adresse sa critique à la reproductibilité aritistique en cinéma. Le cinéma en jouant sur les images par un travail technique cesse de représenter le réel historique. « La reproduction technique peut transporter la reproduction dans des situations où l’original lui-même ne saurait jamais se trouver. Sous forme de photographie ou de disque, elle permet surtout de rapprocher l’oeuvre du récepteur. La cathédrale quitte son emplacement réel pour venir prendre place dans le studio d’un amateur… »
En somme, ces trois disparitions sont considérées chez Benjamin comme la perte de l’aura dans le cinéma. Dominique Château9, remarque que « …Ces diverses modifications de l’original sont traduites négativement par Benjamin pour le déficit ( la perte d’aura) qui entache l’oeuvre traditionnelle à l’ère de sa reproduction. »
Walter Benjamin introduit le terme d’aura en 1931 dans son essai "Petite histoire de la photographie" suivi en 1936 de L'OEuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique, pour caractériser la spécificité de l’oeuvre d'art qui est unique, liée à un endroit précis et qui s’inscrit dans l’histoire. Il définit l’aura comme « manifestation d’un lointain quelle que soit sa proximité »
Cette thèse a été reprise dans la critique de l'art contemporain, qui y voyait une prémonition du changement de statut de l'oeuvre d'art en général et spécifiquement dans le cinéma où la reproductibilité technique conduit à la perte de l’aura. La copie acquiert une autonomie vis-à-vis de l’original par le fait que l’oeuvre est placée dans de nouveaux contextes, qu’il devient possible de changer de point de vue, d'opérer des modifications. En plus la copie va vers l’observateur, devient accessible dans des situations nouvelles et est sortie de tout contexte historique et spatial. Ainsi l’oeuvre devient un objet commercial.
à ce niveau, Benjamin critique le cinéma non dans sa définition et dans son statut en tant qu’art contemporain ayant acquis des procédés techniques où la machine joue un rôle primordial, mais en tant qu’il effectue un effet sur la masse qui « consomme le produit cinématographique » par ces procédés mêmes. « En faisant des gros plans sur l’inventaire des réalités, en relevant des détails généralement cachés d’accessoires familiers, en explorant des milieux banals sous la direction géniale de l’objectif , d’une part, nous fait mieux connaitre les
7 Ibid., p.13
8 ibid
9 Dominique Château, Cinéma et philosophie, p.46

necessités qui règnent notre existence, il parvient, d’autre part, à nous ouvrir un champ d’action immense et que nous ne soupçonnions pas 10»
le cinéma pour benjamin est un art de masse, son avènement du cinéma consacre la rencontre entre l’aspiration de la masse au divertissement et un médium reproductif qui opère une médiation machinique entre l’acteur et le spectateur en soumettant le premier à une série de tests optiques et en plaçant le seçond à cette puissance transformatrice du médium. Les techniques du montage et de tournage ont un effet très important sur notre regard du monde et sur nos sentiments esthétiques et par conséquent sur notre personnalité.
Benjamin souligne la dimension commerciale du cinéma, il dit que l’exploitation capitaliste de l’industrie cinématographique refuse de tenir compte de la revendication légitime de l’homme d’aujourd’hui de voir son image reproduite. Dans ces conditions l’industrie cinématographique a tout intérêt à stimuler l’attention des masses par des représentations illusoires .Le tournage d’un film et surtout l’enregistrement d’un film parlant offrent un spectacle qu’on n’aurait jamais pu imaginer auparavant.
On peut conclure que Benjamin marque la nature illusionniste du cinéma qui est le fruit du montage
Ainsi, l’activité artistique se dessine dans l’intervalle qui sépare l’origine de sa copie, mais s’il en est ainsi à quel niveau l’activité artistique peu-t-elle représenter l’origine et par conséquent acquérir une certaine authenticité ?
10 Ibid, « grâce au grand plan , c’est l’espace qui s’élargit ; grâce au ralenti, c’est le mouvement qui prend de nouvelles dimensions » pp.61-62

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